Antimatière

De l'antimatière dans l'ISS ?

L’antimatière a pratiquement disparu de l’univers. Comment l’expliquer ?

Le journal « Le Monde » s’est fait l’écho début mai 2021, [01], d’une étude parue en avril de la même année : [02]. Elle fait peut-être partie de ces rares évènements capables d’interroger nos tranquilles certitudes.

Son objet ? Savoir s’il existe des étoiles d’antimatière ? Oser se demander si certains des puissants jets énergétiques observés par les astronomes résultent d’une rencontre entre de l’antimatière et les zones emplies de la matière habituelle (celle qui nous entoure).

L’hypothèse a cependant de quoi surprendre. En effet, bien que l’explication de l’asymétrie flagrante entre les quantités de matière et d’antimatière ne soit pas actuellement connue, il semble certain que l’univers observable ne contient pratiquement pas (ou plus) d’antimatière.

Les seuls lieux où l’antimatière peut se trouver aujourd’hui sont les laboratoires terrestres où elle y est fabriquée intentionnellement !

Pourtant, des mesures réalisées en 2018 auraient (forme conditionnelle prudente) [03], [04] révélé la présence de quelques rares atomes d’antihélium… dans la station spatiale internationale (ISS).

C’est sans doute l’élément déclencheur de cette hypothèse saugrenue. Car ce fait constitue à lui seul une bizarrerie. Il a fait naître l’idée originale que la faible densité de matière caractérisant les régions vides de l’univers actuel aurait pu permettre la survie d’ilots d’antimatière quelque part dans l’univers … et pourquoi pas l’existence d’étoiles d’antimatière.

Cette hypothèse, pour le moment iconoclaste, impose de reconsidérer le point de vue académique sur la nature effective de ces régions réputées vides. Elle exige aussi d’approfondir l’étude des liens réels entre particules matérielles et particules anti-matérielles aux plus petites échelles (celles des leptons et des quarks) …

Certains jets surpuissants gamma sont-ils des preuves de l’existence d’îlots d’antimatière ?

En science, il ne suffit pas d’imaginer de belles hypothèses. Il faut les tester au travers d’expériences. C’est ce que fait le télescope Fermi Gamma Ray depuis plusieurs années (lancé le 11 juin 2008 et orbitant à environ 550 km d’altitude) ; voir le site dédié [05].

Grace à lui, une équipe de l’IRAP à Toulouse a pu réaliser dix années d’observation. La moisson de données englobe environ cinq mille huit cents sources. Leur analyse a permis d’y dénicher quelques jets d’une nature excluant de pouvoir les confondre avec des pulsars, des trous noirs ou des jets gamma habituels.

Mais de là à affirmer sans preuve qu’il s’agit forcément d’explosions dues à une déflagration matière-antimatière… il reste encore un long chemin à parcourir !

Les mystérieuses liaisons matière-antimatière

L’antimatière existe, c’est certain. Nous sommes cependant très loin d’en avoir percé tous les secrets.

En effet, en acceptant sans démonstration que l’homogénéité apparente de l’univers traduit par principe l’existence de symétries naturelles dans l’univers (voir l’article sur « Le Graal de la grande unification »), personne ne sait à ce jour où est passée l’antimatière qui aurait dû être créée au moment du Big-Bang !

En 2021, les expériences menées au CERN (parmi lesquelles : AeGIS, ALPHA et Gbar) n’avaient pas encore livré leurs résultats. En particulier, elles n’avaient pas permis de comparer le comportement d’une particule d’antimatière fabriquée artificiellement avec celui de sa particule miroir lorsque toutes deux évoluent dans le champ de gravitation terrestre.

Les questions ouvertes en cosmologie (matière et énergie sombres) justifient que les scientifiques soient de plus en plus intéressés et fascinés par ces arrangements contre nature entre particule et antiparticule aux échelles les plus fines.

En effet, tout se passe comme si l’antinomie observée à l’échelle macroscopique n’avait finalement pas ou plus cours en dessous d’une certaine échelle. Existe-t-il un lien entre cet étrange comportement et la dualité électromagnétique associée aux régions vides ?

Il y a là un domaine de la recherche fondamentale dont nous connaissons encore très, très mal les frontières. Et contrairement à ce que beaucoup pourraient intuitivement penser, le sujet n’a rien de nouveau. De fait, le muonium a été découvert en 1960 [06]. Il motive encore de très nombreuses recherches [07] ; certaines portent désormais sur des alliances (muon – antimuon).

Il se peut qu’elles soient indirectement guidées par le fait que les régions vides sont légérement polarisées et par l’intuition ancienne poussant à croire que la nature de ces régions permet de les interpréter comme une forme particulière de superfluide.

Un autre scénario pour expliquer une présence résiduelle d’antimatière.

Une étude récente [08] s’appuyant sur les données recueillies depuis 2020 par le satellite Chandra [09] envisage un scénario moins exotique pour expliquer la présence d’antimatière dans l’univers.

Il argue du fait que la rotation des pulsars suffit à générer des paires (électrons-positrons) au sein de jets longs (environ six années -lumière) et énergétiquement puissants.

Même si ce scénario se révèle être correct pour ce qui concerne ces jets, il n’explique encore pas la disparition quasi-totale de l’antimatière dans notre univers.

Une réflexion générale sur l’évolution des sciences

La cosmologie standard et le modèle standard des particules élémentaires semblent atteindre un point stratégique de leurs histoires respectives.

Les remises en cause pavent la vie normale des individus, des sociétés humaines et de leurs activités. Les théories physiques n’échappent pas à ces évolutions.

Celles-ci sont un processus nécessaire permettant l’actualisation permanente de l’adéquation entre la somme de nos expérimentations (de ce que nous vivons) et la modélisation de ces vécus.

Ces adaptations se réalisent majoritairement au fil de l’eau, parfois sans que grand monde s’en aperçoive.

Pour autant parfois, comme ce fût le cas avec les expériences de Morley et Michelson, elles finissent par générer une sorte de tremblement de terre dans le landernau des chercheurs. Un peu plus tard, celui-ci déclenche un changement de paradigme pour l’ensemble de la société.

Si vous préférez la philosophie et la littérature, ne manquez pas de visiter la partie littéraire de cette présence Internet.

© Thierry PERIAT, paru initialement le 12 juillet 2022 et revu le 27 février 2024.

Bibliographie

[01] Y-a-t-il des anti-étoiles dans l’univers ? Le Monde, Sciences, 4 mai 2021.

[02] Constraints on the anti-star fraction in the solar system neighborhood from the 10-year Fermi Large Area Telescope gamma-ray source catalog. Physical Review D. Published online April 20, 2021. doi:10.1103/PhysRevD.103.083016.

[03] Un spectromètre en orbite pour traquer l’antimatière ; swissinfo.ch, 27 avril 2011.

[04] Site dédié à l’Alpha Magnetic Spectometer-02 placé sur l’ISS : ams02.space/fr

[05] Article en ligne sur le site fermi.gsfc.nasa.gov.

[06] Hughes, V.W. et al. (1960): Formation of muonium and observation of its Larmor precession, Physical Review Letters. 5 (2): 15 juillet 1960, pp. 63-65.

[07] Present and future of Muonium; arXiv:nucl-ex/0404013, submitted on 8 Apr 2004.

[08] The long filament of PSR J2030+4415 ; arXiv :2202.03506 [astro-ph.HE] submitted 7 Feb 2022.

[09] https://chandra.harvard.edu.